La suite est toute simple, et mon sourire est encore présent lorsque j’y repense. Suite à ce sauvetage exprès, j’ai entamé le plus beau voyage de toute ma vie. Car il n’y a pas plus onirique voyage que celui que l’on fait avec son ami. Et pour moi Nemo était un ami. Je ne me sentais plus seule, je ne me demandais plus pourquoi j’étais venue au monde, ni même quel était mon but dans la vie, je me contentais de vivre et de saisir à mains nues chaque chance qui m’était donné, de m’agripper à la vie comme jamais. Mais comme toutes histoires, celle-ci finit par prendre fin. Ho, on ne s’est pas quittés en mauvais terme, c’est juste que, tout naturellement, l’aventure prit fin et que très rapidement, l’un comme l’autre nous avons pris notre propre chemin. Je suis retournée dans le monde qui m’a vu naître. De simple écume, j’étais devenue femme. Une femme sûre d’elle, au fond de ses yeux, on pouvait lire le défi, la soif d’aventure. C’est à ce moment-là, la tête remplie de souvenirs et les yeux brillants de nostalgie que je me retrouvais prise dans l’œuvre la plus perfide des humains. Un filet. On me hissa sur le pont, le sol dur n’amortit aucunement ma chute. En relevant les yeux, je croisais le regard d’un jeune homme. La suffisance et l’orgueil que je pouvais voir dans son regard ne cachait aucunement la malice et l’intellect que je pouvais déceler. C’était donc un être aussi rusé qu’un renard qui me faisais face.
« Remets-moi à l’eau, s’il te plait… »
Le froid picore ma peau tendis que je sens ce sentiment de mal être grandir au creux de mon corps. Je regarde cet homme. Il s’accroupit devant moi, me fixant de ses yeux malicieux.
« Cela fait quelques jours que tu admire ce port peuplé de mes semblables… Je t’offre la possibilité de vivre parmi eux si… Disons, si tu me rends un petit service. »
Je le regarde. Et pour la première fois de ma vie, je me rends compte que l’être humain peut être aussi vil que bon. Qu’il ne faut pas forcément s’y fier aussi aveuglément. Je me rendis vite compte qu’il n’y avait pas grand-chose de plus à faire que d’accepter son offre. C’est donc justement ce que je fis, il me relâcha en mer, penchant sa tête par-dessus le pont pour me voir. A cette époque… J’étais encore une belle petite idiote. Dire qu’en y réfléchissant aujourd’hui, je me serais sans doute enfuie, je n’aurais pas attendue là comme une idiote. C’était sans doute parce que je souhaitais hardiment cette chose me permettant de rejoindre les humains. Cette récompense promise qui me faisait déjà rêver.
« Vois-tu… C’est vraiment navrant… J’ai laissé tomber quelque chose de précieux. Il se trouve dans une grotte non loin d’ici. Si tu me le rapporte, je t’offrirais quelque chose pour que tu puisses vivre parmi les humains. »
Je penchais la tête vers lui, plissant les yeux.
« Et si je n’y arrive pas, j’aurais quand même ma surprise ? Tu sais… En lot de consolation. »
Il éclata de rire avant de m’offrir un clin d’œil. J’ignorais ce que cela voulait dire. En fait… Les humains ont certaines manies étranges.
« Elle est maline ! Et en plus elle est drôle. File. »
A ces mots, je levais le camp sans rien ajouter de plus. Les flots sont ma maison. Ils l’ont toujours été, mais cette idée de vivre parmi ces hommes… Des personnes comme mon seul ami… Aussi ingénieux, malins. Tous les hommes sont comme ça n’est-ce pas ? Ils sont tous aussi intéressant… C’est ainsi que je nageais avec agilité entre les flots pour arriver à cette fameuse grotte. On aurait dit une énorme bouche digne d’un de ces monstres marins que j’ai un jour croisé. Des picots de pierre garnissaient cette bouche immobile dans laquelle je m’engouffrais avec fougue. N’étais-je pas capable de ramener une babiole qu’un idiot de marin d’eau douce avait fait tomber ? C’est ainsi que j’attrapais un coffre laissé au milieu de cette dernière. Que j’étais stupide à cette époque. Une belle petite sotte dont les yeux brillaient de rêves. Aujourd’hui tout cela était différent. Aujourd’hui j’étais la même femme, mais mon éclat s’était ternis. Aujourd’hui, je me méfiais de tous, et de tout le monde. Toujours est-il que je rapportais ce fameux coffre à ce jeune homme qui m’offrit en échange un bracelet magique capable de me donner des jambes parfaitement humaines.
Je compris bien vite que, bien qu’étant pourvue de jambes, les vêtements n’étaient pas compris dans le stock, c’est ainsi que je me glissais jusqu’à un navire. C’est à cet endroit que je trouvais de quoi me couvrir dans un des coffres que comportait le bateau. C’est ainsi que je piquais les vêtements d’un matelot. Ce fut quelques années plus tard que je rencontrais celui qui allait être mon mari. Le plus amusant c’est qu’il était prince d’un royaume côtier et moi… Hé bien je me faisais passer pour l’émissaire d’un pays imaginaire. L’histoire ne mit pas bien longtemps à devenir sérieuse, et en quelques mois je fus mariée à cet homme. Il était doux et bon, néanmoins quelque chose me disait qu’il ne serait pas aussi doux en apprenant que je n’étais pas humaine. J’ai bien vite compris qu’il y a une chose très importante chez certains humains. Ce qui n’est pas humain est méprisable. J’avais fait une demande particulière à mon mari. Un jour serait à moi. Un seul et unique jour, il n’aurait pas le droit d’entrer dans la pièce dans laquelle je m’enfermais. Ce jour-là, je le passais sous ma forme de sirène a patauger dans un immense bassin. Il n’y a que lorsqu’on perd ses gracieuses nageoires qu’on se rend compte à quel point elles nous manquent. Durant ces années, je gagnais en maturité, mais aussi en sentiments. J’apprenais à aimer. C’est alors que mon histoire, alors qu’elle aurait pu se finir par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » elle prit un revirement tragique. Le frère de mon époux, envieux de semer trouble et discorde au sein du couple alla persifler au creux de l’oreille de mon mari, semant le trouble dans son esprit. C’est ainsi qu’un jour, il fit défoncer la porte soigneusement fermée à clef et qu’il entra dans l’intimité de ma salle de bain. Il écarquilla les yeux, avant de souffler dans un doux murmure.
« Je pense que je vous ai perdu à tout jamais ma bien aimée… »
Et il ne pouvait qu’avoir raison, puisque je me jetais pas la fenêtre afin de le fuir. J’atterris finalement dans les douves, c’est dans ces dernières que je fus prisonnière. Un filet de pêche avait suffi à entraver mes mouvements, et le pêcheur en herbe n’était autre que le frère de mon époux. Je passais ensuite quelques mois dans le sous-sol du château. Les sévices étaient multiples. L’esprit complétement détruit, je laissais petit à petit ce sentiment de honte, d’humiliation et de rage m’envahir, changeant progressivement celle que j’étais. Puis… Une nuit mes tourments prirent fin. Depuis qu’il était de notoriété publique que le prince avait épousé un monstre, il avait été éjecté de la course du trône. Et ce fut cet homme que je retrouvais face à moi. L’œil vitreux, une barbe venant manger son visage. Ce n’était pas l’habituel barbe bien coupée qu’il portait d’habitude, mais quelque chose d’hirsute. Il semblait vieux, fatigué. Mais je ne devais pas avoir l’air fraiche non plus. Il ouvrit les fers qui me retenais, me sortant de la cuve dans laquelle son frère avait enfermé la moitié inférieure de mon corps, avant de me mettre au poignet le bracelet magique, m’offrant quelques vêtements avant de m’offrir un sourire pitoyable.
« Fuit. Fuit loin de nous comme tu le prévoyais. »
Je le regardais dans les yeux une dernière fois, effleurant son visage du bout de mes doigts, avant de m’enfuir sans me retourner. Toute cette fascination pour l’homme avait disparu au fil des ans que j’avais passé sur cette terre. Je ne revins plus jamais dans ce château, reprenant la route, mais cette fois sur la terre ferme. Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que la malédiction me touche et ne me fasse devenir la petite tatoueuse de Storybrooke. Mais ma méfiance envers mes voisins ne disparut jamais vraiment, tout comme cette rage qui sort d’on ne sait où. Je me suis fait suivre pendant des années par notre psychologue local, pensant que j’avais un problème au ciboulot. Le plus dur a été de se souvenir de tout ce que j’avais perdu pour avoir l’espoir de vivre ne serait-ce qu’un peu avec les hommes.